Le nouvel été

Nous avalions les étés comme des dents de lait et sucions leurs crépuscules comme des fils de sirop, et le temps se déposait comme un ventre dans nos mains, petites comme des cachettes et belles comme des pattes d’animaux inutiles, et le temps, que nous étirions en gomme d’or et de soupirs tièdes, prenait de faux airs de chien qui ne comprend pas.

Les cris des enfants de l’école, cruels sous leurs airs d’enfants, laissaient un sillage hérissé de leurs pulsions d’unisson et de leurs plastrons de meute qu’ils portaient comme un refuge et vous laissaient un arrière-goût de leur goût de fondre sur les silhouettes de coton.

Puis leurs cris se diluaient lentement au creuset de juillet, dans la mousse de nos impatiences et les frottements de nos mues, et dans nos rituels de mirabelles, et sous le grésil de nos causeries de veillées, la nuque posée sur le cou du chien, et leurs cris se perdaient dans nos voltes sous les jeux de muscles de la mer, ou aux flottaisons sur le plomb de sa houle assagie sous la posture de haute pierre-de-loin des Sanguinaires au feu du soir, ou sous la timidité des caresses étirées de la Blourde-rivière qui coulait nos brasses fières et tremblantes, et leurs cris se perdaient dans les poussières de saison déposées sur nos peines hautes et foulées, mais fidèles, et dans la sève de nos pensées rêvantes qui posaient déjà, sans le savoir, leur loi comme un ostinato de chemin au sommet de l’empire de l’exister.

Les étés coulaient sous nos peaux comme une infusion de promesses, et battaient au tempo de leurs échos à nos tempes vivantes, et marquaient borne comme un versant du temps, et apposait sceau de Vanité à tout bon entendeur traversé de bon cœur par les brumes mauves de nagori et qui sait que la vie se marche sur le fil.

Puis alors… ou plutôt… mais un jour… par un nouveau matin sans grain de peau de matin, de son pas de patron dans une nuée lourde, le nouvel été arriva comme un vieux chien aux bas rouges.

Il posa son ventre en débord et son regard d’orbe comme l’ennui sur ses quartiers. Et ne pensa rien.

Et dès le troisième mitan de jour, il se coula dans l’exacte forme d’une patience de grand chat à charnure de présage qui murissait la densité de sa grande couleur oubliée. Et son gros œil au zénith de chape, chaque jour plus cerné de poudre de terre et de sel, se fixa sur nos hébétudes à larges ridules de créature-pourtant et sur la mousse vivante aux commissures des vieux et sur les coulures aux larmiers des vieilles, et sur les herbages sous l’augure.

Les constellations de langages, que nous chérissions sans le savoir, avaient chanté, bien avant la portée de la mémoire, la cartographie infinie des ramages, la grande geste fécondée de mondes émus, mais opaques à nos tympans de brique creuse, et osaient les usages de convoquer le silence afin d’ouvrir sous son pas, aux rives de son calme, sa propre béance et son reflet débordé de tain et de grande vanité.

Les chants, en virgules et croches et sillons dans les brises de miracles que sont les oiseaux de tous gabarits et de tous falbalas de grammes, de plumes en bouquets sous les réhausses de duvets, de cris attifés, de froufrous matamores, de coloratures de soirs dorés et même d’adagios couchés sur les risées, et les sifflades en arantèles flottant aux ramures, les mille babils exhaussant les grâces ordinaires en émulsions célestes, toute la partition des sourdines de raretés, des souffles en timidités d’exister, et les lamentations aussi, mirent leurs voix à terre face au nouvel été et à son dôme invisible de touffeur et la gravité de son silence vengeur et redouté. Toutes ces paroles de saison et de tant d’histoires minuscules et déployées allaient perdre leurs fruits et fondre comme des pendus, sans aucune brise d’osciller.

Dès lors, les orages ne quittèrent plus gorge, s’avalèrent même ! Et déchurent leurs missions de voûte en puits de silence.

Et le fumier en perdit son suc.

Et les poules gardèrent leurs œufs au ventre, bien plus frais que les heures de sieste.

A chaque aube, nos mains fouillaient la terre dans une quête de chevet aux larmes de rosée à rondeur de paupière et nos yeux cachaient leurs cernes sous nos ongles.

Et si les lucioles n’étaient mortes déjà, comme aux collines d’Italie, le septième soir les eu vues clouées sur les murs de chaleur qui organisaient l’air, buvard devenu des eaux de toutes arabesques et de toutes densités et leur montée en vapeurs au soleil en dépit des glaises de retenue et des ombres de saules, et l’on découvrit les étiages du vide et leurs mesures de vertige et les pierres de la faim.

Et le désert était cobalt comme une hégémonie de ciel de plaque après orgie de nuages, et les animaux mouraient sur pieds et sans ombre ni frisson, et même sans remugle sous le sec.

Et même, nous savourions nos crachats que nous gardions en bouche comme des petits œufs de poisson-roi, d’une joue lente l’autre, puis cachés sous la langue, dans une économie de resucée et de souvenirs de glaçon.

Par les chemins, tous les Saint-Christophe et leurs bêtes de toutes tailles en niche sur l’épaule, traînaient en suppliants de boire, même de rinçure, car les dents ont soif comme des épines ou des carrés de sucre qui mordent l’air pour son jus.

Mais le jus coulait sable. Comme les poitrines des biches, des Marie et des louves.

Et le pic noir plantait sa plainte.

L’été nouveau arborait le calme comme un visage de « je le jure », le calme d’un serpent qui boit son venin à épaisseur de sirop, sans cillements.

Il était calme et épluché comme une langue, et recuite, et qui couche au soir sur une lie de cave son souffle sur le flanc, comme un foie qui sait son âge. Et le vide sans contours.

Et si le Christ s’était dénudé, là, comme une peau sous nos yeux à boire, nous aurions tourné dos au choix du sort et laissé sa tunique se glisser sous la poussière.